Cine-emotions

[FOCUS ON] Ken Loach, le réalisateur social du cinéma

A l'heure où les films d'auteur et engagés commencent à s'éteindre dans les méandres du box-office et des salles obscures, Ken Loach fait figure d'irréductible résist     ant. La faut à des films de haute volée, réaliste et critique en même temps, focus sur le réalisateur britannique à l'affiche de Route Irish cette semaine.



 


Kenneth Loach est né le 17 juin 1936, en plein avènement des congés payés en France et des réformes du Front Populaire. Comme un symbole presque. Il grandit près de Coventry qui va connaître l'horreur de la Seconde Guerre mondiale et des bombes. Son amour pour la lutte sociale lui vient de son père, électricien dans une usine fabricant des outils et qui symbolise les futurs personnages de ses films. Pourtant le jeune Loach ne se destine pas à la catégorie ouvrière, lui qui avait entamé des études de droit à Oxford après avoir servi deux ans dans l'armée de l'air. Il se lance ensuite dans la comédie qui l'intrigue, puis devient metteur en scène au Northampton Repertory Theater puis à la BBC qui l'engage pour réaliser des téléfilms déjà bien imprégnés par un côté social. On lui doit notamment une série de fictions basées sur des événements réels (The Wednesday Play). Il se lance dans le long métrage en 1967 avec Pas de larmes pour Joy, ayant Carol White pour héroïne qui interprète ici  une femme et maitresse de petits voleurs professionnels à la recherche d'une définition du bonheur dans la société.


A la fois documentaire et drame en même, Ken Loach trouve son fer de lance qui jalonnera sa carrière de réalisateur engagé, bien décidé à dépeindre la société telle qu'il la voie et comme il aimerait l'envisager. Dans la lancée du Free Cinema, Ken Loach devient rapidement une référence pour l'histoire culturelle et du cinéma britannique. Kes sera son premier succès en 1970, ce premier chef d'œuvre sera aussi son premier passage sur la Croisette. A travers les yeux d'un enfant qui a pour seul ami un faucon, il filme la réalité d'une région minière et en même temps le cocon familial dans un contexte particulier. Dans la lignée de Kes, il signe avec Family Life (1971) une nouvelle critique d'un monde hostile que refuse son héroïne adolescente. Après un intermède costume avec Black Jack (1978) il revient à la jeunesse anglaise avec Regards et Sourires (1981) qui par ailleurs fait un détour en compétition officielle à Cannes. La reconnaissance reste encore critique, bien que Ken Loach soit clairement déjà étiqueté par son cinéma.


Kes, 1970

 

C'est l'Angleterre thatchérienne qui permet au réalisateur britannique de s'exprimer. Il faut attendre le début des années 90' et un semblant de recul pour voir le réalisateur signer coup sur coup Riff Raff (1991) Prix de la critique à Cannes et qui raconte les errements d'un ex-tolard écossais dans les bas quartiers londoniens, et Raining Stones (1993) qui emmène un spectateur convaincu dans la banlieue de Manchester pour vivre une misère éloquente. Prix du jury à Cannes, Ken Loach est devenu un incontournable des critiques et compte sur un public de fidèle convaincu par son cinéma engagé qui ne peut laisser indifférent. Au milieu des Mike Newell,  Mike Leigh,  Stephen Frears et autre Terry Gilliam, Ken Loach est aussi le symbole d'un cinéma britannique social et pertinent. A la recherche du bonheur, Loach donne des éléments de réponse à un combat qui en concerne beaucoup aujourd'hui, à savoir la garde des enfants, avec Ladybird (1994). Il évoque également l'alcoolisme avec Peter Mullan en Prix d'interprétation 1998 à Cannes pour My Name is Joe. Pour éviter de tourner seulement autour de la Grande-Bretagne, on retrouve Loach en Allemagne (Fatherland, 1986), en Espagne (Land and Freedom, 1994), Nicaragua (Carla's Song, 1995)) ou encore aux Etats-Unis (Brend and Roses, 2000).


Raining Stones, 1993

 

Avec autant de films engagés, il serait logique de se demander comme Ken Loach peut se faire accepter par ceux qu'il dénonce dans ces films, ou par les autorités du moment. Avec Sweet Sixteen en 2002, on a eu l'exemple parfait d'une sorte de censure face à la dite « vulgarité » du film qui fut interdit aux moins de 18 ans par le BBCF. Choquant peut-être, Sweet Sixteen dressait le portrait d'un jeune adolescent dont la mère est en prison et qui rêve d'une belle famille, et monte des combines avec quelques amis. La transformation d'une tête blonde en sorte de racaille moderne, l'Angleterre puritaine à de quoi faire la mou. De même, dans un contexte post 11 septembre, il signe le touchant Just a Kiss (2003), emportant au passage l'éphémère César du Meilleur film de l'Union Européenne.




Sweet Sixteen, 2002


 

Quinze ans après Hidden Agenda qui était presque passé inaperçu, Ken Loach renoue avec un autre sujet typiquement britannique, toujours complexer à raconter dans une fiction : le cas irlandais. C'est au milieu des années 20' et des collines verdoyantes de l'Irlande que se pose la caméra de Loach, pour nous montrer avec émotion et sans mutisme le combat de jeunes locaux pour la liberté, luttant contre les  Black and Tans, troupes anglaises envoyées par bateaux entiers pour mater les velléités d'indépendance du peuple irlandais. Il a fallu attendre 2005 pour que Ken Loach remporte enfin un Palme d'Or largement mérité. Le Vent se lève remporte un vif succès et confirme cette fois-ci l'adhésion du public, pour ceux qui n'avait pas encore eu la chance de croiser une œuvre loachienne.


Le Vent se lève, 2005

 

Après ce succès, Ken Loach varie un peu les genres, s'offrant une critique de la mondialisation dans le complexe It's a Free World (2007), avant de revenir à Cannes avec Looking for Eric (2009) puis en 2010 avec Route Irish. Le premier signe dans la comédie légère et touchante où l'amour d'une ex-star du foot devient l'espoir d'un homme au bord du gouffre, alors que le second frappe dans le thriller engagé ayant pour thème la place grandissante des sociétés de guerre privées dans les conflits d'aujourd'hui.

 

 

Ken Loach pourrait être une sorte de Rousseau du cinéma tant les visions se rapprochent : la société nous créé tels que nous sommes. Au travers de son cinéma, le britannique arrive à prendre ses personnages pour mieux cerner l'environnement, en faire des figures, sans jamais les condamner, mais toujours dans une volonté de réflexion sur eux-mêmes. Il n'oublie pas alors de dénoncer pêle-mêle les patrons cyniques, les travaillistes impuissants, les conservateurs arrogants, les malfrats, les petits chefs, les décideurs politiques souvent incapable de comprendre la société. Ken Loach pense la comprendre, du coup il nous fait partager son opinion, pour le plus grand bonheur du septième art







19/03/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 38 autres membres