Ceci n'est pas un film : Jafar Panahi s'exprime... comme il peut
Quand l'emblématique figure
iranienne de la liberté d'expression au travers de l'art signe un
documentaire, cela nous donne une œuvre intimiste et un regard
personnel sur la situation d'un cinéma muselé.
Depuis des mois, Jafar Panahi attend le verdict de la cour d’appel. A travers la représentation d’une journée dans la vie de Jafar Panahi, Jafar et un autre cinéaste iranien, Mojtaba Mirtahmasb, nous proposent un aperçu de la situation actuelle du cinéma iranien.
Ceci n'est pas un film. Ceci n'est
sûrement pas un hasard non plus. Jafar Panahi n'a plus le droit
de réaliser des films, ni de quitter le pays, ni de répondre à
l'interview. Le cinéaste iranien est donc enfermé chez lui, sans
pouvoir en parler. Avec l'aide de son ami Mojtaba Mirtahmasb, il va
filmer ce qu'est cette interdiction. Celle de ne pas pouvoir sortir
de chez soi (symbolisé avec force par la dernière scène), comme
celle de ne pas pouvoir lire un scénario (d'un film interdit qu'il
souhaitait terminer), ou encore de réaliser des films. En bref,
Jafar Panahi s'ennuie et il partage ce moment avec nous. On se
retrouve donc face à un cinéaste symbole d'un cinéma muselé, tout
simplement parce qu'il a osé dire sa propre vérité au travers de
films à charge contre le régime en place. Depuis Le Cercle,
le régime iranien a interdit tous ces films à l'intérieur du pays.
En dehors, ces derniers vont remporter des récompenses dans les plus
prestigieux festivals, dont celui de Cannes. En 2010, l'univers du
cinéma, de l'art et le grand public s'émeuvent de la situation
critique et insupportable dans laquelle se situe l'icône de la
nouvelle vague iranienne, alors qu'il doit faire partie du jury du
Festival de Cannes.
Pour ce documentaire, nos deux protagonistes vont utiliser l'intelligence de la mise en scène. Alors que son ami filme, Jafar Panahi raconte au spectateur ce qu'il vit, mais sans jamais en dire trop. Seulement en laissant quelques traces suffisamment visibles d'une réalité, le tout enrobé avec un peu d'humour. Il a choisi par exemple de tourner ce faux-film le jour de la Fête du Feu, symbole (en théorie) de ce que doit être une fête. On entend donc les pétards, des cris de jeunes. Le spectateur se trouvant à la place de Panahi ne croit pas nécessairement à une fête, mais plus à une sorte de révolution. Ce jour précis n'est donc pas un hasard. Cette fête va en effet être le moment rêvé pour raviver les flammes d'une révolution que le régime tente de faire taire par tous les moyens. Quel logique symbole de voir ce feu ici... Par un hasard non plus de voir Panahi en train d'expliquer une scène de son film Le Miroir (Léopard d'Or à Locarno en 1997), à côté de sa télévision, alors que sur l'étagère juste derrière trône le Buried de Rodrigo Cortès. Un film sur l'enfermement, tout aussi physique que psychologique. Justement.
Jafar Panahi reste gentillement provocateur, ne tombant pas dans le piège d'une sorte d'insulte au régime. Il se montre dans son intimité le temps d'une journée, mais son documentaire montre aussi vite les limites de sa situation. On connait le personnage, on sait ce qu'il a vécu, mais 1h15 dans son superbe appartement ne suffisent pas à en rendre compte et à soulever une indignation qui irait au-delà d'un cercle cinéphile. Ce que veut aussi montrer Panahi ici, c'est que la lutte pour la liberté d'expression – au travers de la sienne – doit continuer, et le cinéma iranien doit vivre de cela, à l'instar par exemple du film Au Revoir de Mohammad Rasoulof, dernière trouvaille de ce cinéma secret.
Panahi n'a sûrement pas signé un
documentaire qui se récompense comme ses films ont pu l'être.
Mais il continue à montrer d'une autre manière ce combat silencieux
qu'il mène. En attendant de pouvoir un jour, montrer ce qu'il a
dire, derrière une vraie caméra, et avec la liberté qui va avec.
NOTE : 13.5 / 20
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