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Omar m'a tuer : l'affaire Omar Raddad, du tribunal au cinéma

« Il y a cent ans, on condamnait un officier car il avait le tort d'être juif, aujourd'hui on condamne un jardinier car il a le tort d'être maghrébin ». La phrase de Jacques Vergès avait fait du bruit pour l'époque, le film de Roschdy Zem sur l'affaire Omar Raddad en fera-t-il autant ?




Le 24 juin 1991, Ghislaine Marchal est retrouvée morte dans la cave de sa villa de Mougins. Des lettres de sang accusent : « Omar m'a tuer ». Quelques jours plus tard, Omar Raddad, son jardinier, est écroué à la prison de Grasse. Il parle peu, comprend mal le français, a la réputation d'être calme et sérieux. Dès lors, il est le coupable évident. Il n'en sortira que 7 ans plus tard, gracié, mais toujours coupable aux yeux de la justice. En 1994, révolté par le verdict, Pierre-Emmanuel Vaugrenard, écrivain convaincu de l'innocence d'Omar Raddad, s'installe à Nice pour mener sa propre enquête et rédiger un ouvrage sur l'affaire…


Omar m'a tuer est un projet qui date d'il y a au moins déjà quatre ans. A l'origine, Rachid Bouchareb, pourfendeur de la cause maghrébine depuis le succès populaire d'Indigènes en 2006, et qui révulse de nombreux cinéphiles ou spécialistes. Le voici à la production de ce film que va diriger un de ces acteurs fétiches, à savoir Roschdy Zem dont c'est le second film derrière la caméra. Dans le rôle-titre, un autre habitué en la personne de Sami Bouajila. Pas forcément transcendant, Bouajila dans la peau de Raddad suscite une sorte de compassion émotionnelle plus qu'une forte prise de position politique ou judiciaire. A l'inverse du rôle tenu par un Denis Podalydès (l'homme capable de jouer Sarkozy puis un défenseur de la justice juste) sous les traits d'un fictif Pierre-Emmanuel Vaugrenard, librement inspiré de Jean-Marie Rouart. Son jeu percute, fluidité des dialogues aidant, et Podalydès se retrouve assez logiquement en belle tête d'affiche, secondé notamment par un Vergès (Maurice Bénichou) presque jouissif quand il apparaît. L'affaire suscite clairement les bruitages de couloir, et pourrait bien diviser l'opinion publique. Toujours est-il qu'il interpelle et joue jusqu'au bout l'argument d'une reconnaissance que la justice n'a toujours pas faite à Omar Raddad, impliquant un combat qui continue encore aujourd'hui. Après des débats médiatiques, des reportages et articles, des livres, voici donc un film qui a la drôle allure que prenait déjà celle de d'Indigènes à l'époque, à savoir un travail qui se veut populaire pour frapper le plus grand nombre et ainsi faire bouger les choses.





Pour livrer le film, les scénaristes se sont entre autre appuyés sur les deux ouvrages "Pourquoi moi ?" et "Omar la construction d'un coupable". Roschdy Zem peut au moins se targuer d'être honnête : il fait du cinéma populaire. Omar m'a tuer n'aurait gêné personne (surtout les défenseurs du cinéma d'auteur) s'il avait été diffusé sous la forme d'un téléfilm (plutôt court pour le coup) comme quelques autres grandes affaires de ce siècle. De même, cette tendance que l'on aurait à vouloir se dire dubitatif sur cette volonté de Bouchareb de ne prendre que des sujets qui lui sont propres et presque trop souvent sur la cause maghrébine, soulevant parfois la thématique de l'anti-français qu'il serait. Avec l'acteur Roschdy Zem derrière la caméra, c'est le bon moyen de s'éviter ce petit contrecoup, bien que le propos n'ait en rien changé. Mais le sujet est tellement grave (mais adaptable à tellement de cas) qu'on évite de parler d'une cause communautariste et d'une critique trop facile et subjective dans l'instant. Omar m'a tuer garde tout de même une objectivité malgré quelques incohérences souvent liés aux décors (du détail comme on dit), et gagne le cœur du spectateur par un sujet grave et pertinent et une émotion très facilement obtenue.


NOTE : 12.5 / 20







A lire : Entretien avec le journaliste et écrivain Claude Weill.


Quand est-ce que votre contact avec cette troublante affaire a commencé ?

 

J'étais alors chef du service société du Nouvel Observateur. Je me souviens très bien avoir reçu cette dépêche AFP disant qu'une dame avait été assassinée d'une façon très morbide, avec des inscriptions sur le mur, accusant un certain Omar. On avait déjà d'emblée une énigme policière façon roman d'avant-guerre ou 19ème à la Edgar Allan Poe. J'ai immédiatement envoyé un jeune reporter à l'époque, Jérôme Cordelier. Par la suite, j'ai eu des contacts avec les deux premiers avocats d'Omar Raddad et j'ai suivi l'affaire à distance avant de rentrer directement dans le procès que j'ai couvert avec une autre journaliste, Marie-France Etchegoin.

 

Comme se déroule procès d'Omar Raddad ?

 

Dès que j'ai commencé à couvrir le procès, c'est le doute qui habite l'ensemble de l'assistance, aussi bien chez les journalistes que dans l'opinion publique. Le procès n'a dissipé aucun mystère dans le fond, on passe d'un sentiment à l'autre, avec beaucoup de faits et d'éléments qui ne collaient pas. A vrai dire, l'analyse du procès pourrait se faire par le climat général qui régnait à ce moment précis en France. Trop de doutes, et l'innocence d'Omar Raddad n'était absolument pas prouvée, tout comme sa culpabilité. Et ce doute se ressent lors du verdict complétement chaotique, lorsque le juge prononce la sentence, à savoir 18 ans (une date qui déjà exprimer un certain doute), renforcé par les circonstances atténuantes. On sent bien que personne n'est complétement sûr. Dans VSD, des fuites étaient parues sur la conduite des délibérations. Le président semblait lui-même directif dans cette conduite. La semaine suivante, j'exprimais mes doutes concernant la culpabilité d'Omar Raddad dans un papier. Un autre fait marquant de ce procès, c'était la présence de cette fameuse porte blanche, puisque c'était une preuve pour le coup physiquement importante. Il y avait ces inscriptions hasardeuses, dont le rouge avait viré au marronisant.

 

L'opinion des journalistes était-elle en faveur d'Omar Raddad ?


Pour ma part, je suis encore aujourd'hui totalement convaincu que c'était l'acquittement qu'il fallait pour Omar Raddad, pour les faits trop douteux auxquels on avait affaire. Les journalistes étaient globalement en faveur d'Omar Raddad, mais en même temps je n'ai vu aucun journaliste sûr de la culpabilité ou de l'innoncence d'Omar Raddad. Mais la logique éthique aurait voulu un acquittement.

 

Du judiciaire au politique, l'affaire Omar Raddad a pris une tournure étonnante ?

 

Effectivement. Mais l'affaire a pris un nouveau virage lors d'une déclaration de Vergès, à savoir un virage politique et racial. Il était sur le perron du palais de justice devant une foule de média, et il déclare : "Il y a 100 ans, on condamnait un jeune officier qui avait le tort d'être juif, aujourd'hui on condamne un jardinier qui a le tort d'être maghrébin". C'était assez incroyable parce que jamais pendant le procès il n'avait été question d'une cause raciale. Vergès n'avait jusqu'ici fait qu'une défense factuelle et non politique. Et ce n'est seulement qu'après la défaite qu'il établit le parallèle entre Dreyfus et Raddad. C'est une dimension politique et sociologique qui me paraissait fausse tout simplement parce qu'elle ne faisait pas partie des débats.

 

Pas avant, rien que par le choix des avocats, comme Henri Leclerc ?

 

A l'époque du procès, la présence de Leclerc dans l'accusation était étonnante, voir presque inadmissible. On connaissait tous un peu le personnage, il s'agit de quelqu'un de très respecté, défenseur des droits de l'homme et plus généralement du faible et l'opprimé. Avec l'affaire Omar Raddad, il n'est plus du tout dans cette étiquette.

 

Le personnage de Rouart a-t-il compté, lui que l'on voit dans le film sous un personnage fictif, mais presque central puisqu'il refait en silence l'enquête pour innocenter Omar Raddad ?

 

A vrai dire je ne sais pas. Je ne pense pas que Rouart ait pu changer quelque chose, surtout après le procès. D'ailleurs, après le verdict, il ne s'est rien passé. Vergès a commandé des enquêteurs privés, mais cela n'a abouti à rien, de même que la mise en cause de la famille pas franchement fondée. Sa rencontre avec Raddad a dû être décisive dans sa façon de voir l'affaire, chose que n'avous pu faire car à l'époque aucun journaliste n'a pu rencontrer l'accusé.  De toute façon, Rouart partait avec l'intime conviction que Raddad était innocent.

 

Un peu comme le film d'ailleurs qui se plus populaire que véritablement objectif. N'est-ce pas dangereux ? Ou plutôt, ce côté populaire peut-il susciter un émoi public ?

 

Cela n'est pas impossible malgré les différentes requêtes rejetées jusqu'ici. Donc que le film puisse avoir une influence sur l'opinion oui, surtout s'il est relativement honnête. En revanche que la justice puisse s'émouvoir du film et du fait qu'il interpelle, cela ne changera assurément rien. Quant aux politiques, ils interviennent peu, même si Indigènes a eu un impact. Marylise Lebranchu qui fut ministre de la Justice (ndlr : de 2000 à 2002) avait porté le dossier en révision de Guillaume Seznec, mais aufinal ce fut un échec.


Ce qui nous amènerait à dire que la justice ne changera pas d'opinion, expliquant ainsi le fait qu'elle campe sur ses positions.

 

La justice française a une certaine répugnance à réviser, donc je ne vois pas notre justice réviser le procès d'Omar Raddad pour prouver son innocence. D'autant plus qu'il y a trop de faits troublants. Rien que les pièces manquantes au dossier auraient dû provoquer l'acquittement. Mais aujourd'hui, des questions restent sans réponses : Raddad et la question de ses vêtements, sans traces de sang ; l'écriture de cette femme qui s'annonce morte alors qu'elle ne l'était pas… La justice est très bien encadrée, par conséquent, elle déteste la voie de la révision et n'aime pas se remettre en cause.




17/06/2011
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