Cine-emotions

Agora, l'histoire ignorée à l'écran.

Agora s'affirme comme un nouveau péplum, signé du talentueux Alejandro Amenabar qui met à feux et à sang Alexandrie, en proie aux révoltes et aux conflits en tous genres. Eblouissant visuellement et touchant à souhait.

 

Dans l'Egypte du IV ème siècle avant J-C, sous domination romaine, la nouvelle religion tolérée, le christianisme monte en puissance. Et à Alexandrie, la colère gronde et menace désormais les païens, désormais réfugiés dans la bibliothèque d'Alexandrie, où la jeune philosophe Hypatie tente de préserver ce qu'elle peut des connaissances accumulées depuis des siècles. Alexandrie se déchire entre les chrétiens qui deviennent de plus en plus nombreux gagnant les plus pauvres, les esclaves, face aux païens qui constituent l'élite sociale de cité, des scientifiques aux hommes politiques. Hypatie se rend vite compte que les choses vont vite, et le sort semble inéluctable.

 

Il y a beaucoup à dire sur ce film d'Alejandro Amenabar. Commençons déjà par la base, le genre du film : c'est un péplum, un genre difficile à adapter à l'écran (il suffit de voir le 300 de Zack Synder, Troie de Wolfgang Petersen ou encore Alexandre d'Oliver Stone). Si visuellement, l'image est encore bluffante, le film d'Amenabar (Mar Adentro, Les Autres) se détache par son scénario et sa volonté de se détacher du spectacle pur, en offrant un film de réflexion et d'érudit sur des questions qui aujourd'hui peuvent encore nous concerner. Il fait alors la différence avec des péplums qui ont préféré l'hollywoodien et l'image trop irréaliste pour truster les hautes sphères du box-office. On le sait très bien, Agora se s'offrira pas une place mémorable dans le box-office, mais qu'importe on va ici préférer le fond.

 

En effet, dans Agora, le réalisateur espagnol insiste sur des thématiques qui sont historiques. Alors que le Christianisme est désormais une religion acceptée, alors que l'Empire d'Orient commence à vaciller doucement, Alexandrie est cette image des faiblesses du régime. C'est un véritable conflit religieux qui s'engage entre païens, juifs et chrétiens. Ces derniers deviennent de plus en plus puissants dans la ville, au point d'en transformer les lois petit à petit. Hormis la question religieuse très osée, mais réaliste, le scénario s'intéresse aussi à la question des sciences et de la philosophie, notamment sur le débat « Où est située la Terre dans le cosmos ? ». Et pour l'époque (comme pour la Renaissance plus tard), il est très dangereux de s'aventurer sur ces terrains, qui sont de véritables croyances. Enfin, à l'image de son personnage Hypatie (Rachel Weisz), c'est aussi le combat des femmes et la place dans cette société qui s'effrite. Historiquement, Hypatie pourrait très bien entrer ces femmes qui ont un poids sur la société, comme Théodora, l'impératrice et femme de Justinien.

 

S'il fallait encore comparer Agora avec les précédents péplums, notamment en ce qui concerne thèmes, les autres apparaissent désastreux (sauf peut-être Alexandre, d'Oliver Stone). Le film se dote d'effets spéciaux et d'images dignes d'un péplum hollywoodien, tout de même loin des clichés de Ben-Hur. Il est visuellement impressionnant et totalement crédible, l'image est belle et parle avec le film. Le scénario est très bien étudié, réaliste à souhait. On retrouve aussi le thème de l'amour, notamment entre Oreste (futur dirigeant) et Davus, l'esclave qui se retrouve coincé entre l'amour porté à sa maîtresse et son attachement au christianisme. Le film est déchirant, d'une violence puissante. Le réalisateur espagnol frappe fort lorsqu'il s'agit de traiter de la controverse religieuse, mettant en scène des problèmes qui sont toujours d'actualité aujourd'hui, le rejet des uns, la manipulation de la masse, le poids des politiques, la place de la femme, les boucs-émissaires.

 

Agora s'impose comme un film de qualité, sublimé par son image et par les thématiques. Le film montre toute l'intelligence d'Alejandro Amenabar, notamment dans la mise en scène. C'est un film puissant, à l'image de cette scène où les papyrus symbolisant la connaissance des siècles passés, qui volent et partent en fumée, lorsque les chrétiens envahissent la bibliothèque. Amenabar réussit avec une grande qualité à montrer le réel début de la décadence gréco-romaine, alors que le christianisme monte en puissance et se montre exigeant, adaptant les paroles d'un dieu à la limite du fanatisme. Le message du réalisateur ne passe que si le spectateur est ouvert d'esprit. Il peut alors se faire sa propre réflexion sur la société, que faut-il en retenir.

 

Toutefois, le film d'Alejandro Amenabar ne réellement être considéré comme un chef d'œuvre. On remarque tout d'abord quelques longueurs récurrentes, notamment des questions scientifiques. Ensuite, et dans beaucoup de films de ce genre, il y a des erreurs historiques. En effet, Hypatie meurt à l'âge de 65 ans, alors qu'elle est âgée d'une quarantaine d'année dans le film, ou encore que Synésius disparaît après elle, alors que c'est l'inverse dans la réalité. L'autre défaut majeur est l'image d'Hypatie : si son image de femme engagée se retrouve parfaitement, c'est celle de philosophe qui est moins évoquée. Au contraire le film la montre plutôt comme une spécialiste d'astronomie. Mais le philosophe n'est pas astronome, alors que l'histoire la montre comme une descendante de la culture grecque des grands philosophes (Plutarque, Platon). Le film insiste plus sur Aristarque, le fondateur de la bibliothèque d'Alexandrie qui était mathématicien et astronome.

 

Même si l'œuvre d'Amenabar ne peut prétendre au statut du chef d'œuvre, on se retrouve avec un excellent film doté d'une image magnifique, d'un scénario foisonnant, des personnages réalistes. Amenabar traite avec une quasi-perfection de cette Alexandrie, symbole de la décadence gréco-romain, en proie à des conflits religieux, sociaux et scientifiques.

 

NOTE: 15,5/20

 

 



10/01/2010
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